10/12/2017


LA PERMISSION d'un ZOUAVE POURLETH
1918
Depuis 1914, la population française est immergée dans la guerre au front comme à l'arrière avec toutes ses angoisses . A partir de 1916, les soldats sur le front ont pu bénéficier de courtes permissions (4 à 8 jours). C'est le retour près des siens et le récit du vécu. La photo devient une nécessité pour immortaliser cet instant, le soldat devant repartir et ré-affronter l'enfer.
A partir d'une photographie riche d'expressions, remplie d'émotions et d'interrogations, nous vous contons l'histoire d'un jeune Pourleth revenu voir les siens...


O 0 O

Ploërdut, "Pêcherie", souvenir de la guerre 14-18
Permission d'un zouave en 1918 : embellie éphémère entre deux saisons en enfer

Joseph Le Fouillé est de retour au village. Il a retrouvé les siens. Il dort. Il ne sait pas s’il rêve. Il dort dans un lit et non plus sur une banquette de terre taillée dans la tranchée. Quand il ouvre les yeux, il voit le visage souriant de sa femme, il entend le gazouillis de ses trois enfants ; déjà  les aînés font de l’escalade pour le rejoindre et lui tirer la moustache…
Ce jour-là, on a décidé de marquer l’événement que constitue le retour du père en se rendant tous chez le photographe.
Comme la plupart des soldats de la grande guerre, le permissionnaire fait ses visites en tenue militaire. Evidemment propre et repassée, son épouse y veille. Marie Julienne a revêtu son plus joli costume pourleth et a endimanché coquettement les enfants.
    

Les voici donc dans le studio posant devant une toile peinte, un vague paysage noyé de ciel nuageux. Le bébé Elisa, plantée debout sur la haute chaise, est ravie et tout excitée. Le garçon, Joseph, assis sur le rebord de la chaise dont il cramponne l’accoudoir d’une main ferme, observe attentivement l’opérateur. L’aînée, Nathalie, debout, surveille également la scène mais avec une certaine inquiétude. La maman pose d’un air grave et beaucoup de solennité ; son regard tendu semble perdu dans un songe intérieur.
Quant au papa, on le dirait absent. Il porte sur ses épaules toute la détresse du soldat désabusé, désorienté, et on lit dans ses yeux une lassitude extrême, une sorte d’angoisse sachant combien cet instant est fugitif et que, là-bas, au front, l’attend l’enfer du feu.

O


Le parcours de Joseph Le Fouillé est plutôt singulier. Jeune homme de la classe 1909, il a été exempté au conseil de révision pour handicap léger ; il n’est donc pas convoqué à la déclaration de guerre. Il s’est marié en février 1911 à Langoëlan avec Marie Julienne ; ils y habitaient encore quand naquit leur premier enfant, Nathalie, en mai 1912. Puis, ils s’installeront à Péchery en Ploërdut, et c’est ici que verront le jour les 2 autres enfants présents sur la photo : Joseph, en 1915, et Elisa en janvier 18.
Mais Joseph n’échappera pas à la guerre.
L’hécatombe d’août 14 a été telle qu’un décret du 9 septembre rappelle les exemptés des classes antérieures.

Convoqué, il rejoint le 62è régiment d'infanterie le 20 février 1915 à Lorient. Après un peu plus de 3 mois de classes, il est affecté au 1er régiment de zouaves en Région Parisienne qu’il rejoint le 4 juin à St Denis. Puis, c’est le front où il intègre le 3è régiment mixte de zouaves et tirailleurs formé le 22 juin.


Sans vouloir suivre pas à pas l’activité de cette unité, quelques rappels trouvés sur internet. En 1915, le régiment a combattu dans les secteurs dangereux de Belgique. En mai 1916, il est appelé sur Verdun. Il y sera engagé dans les combats autour de la côte 304. En juillet, il connaîtra de nouveaux épisodes difficiles, en particulier à Fleury, ravin des vignes. Après une période de repos, il rejoint la Somme en septembre. En 1917, la bataille des Monts de Champagne où il se distingue. Après cette période difficile, il rejoint un secteur relativement calme le long de la Marne.

 En raison des lourdes pertes, la composition du régiment est fréquemment modifiée. Le 8 mai 1918, il est dissous par décision du général en chef et fournit le noyau du 6è régiment mixte de zouaves et tirailleurs en cours de constitution. Cette nouvelle formation est aussitôt engagée en première ligne dans la bataille de Champagne afin de contrer une offensive allemande de grande envergure. Le 1er juin, le régiment est en partie décimé. Les survivants ne seront relevés que le 6.

S’ensuit une période de repos qui va durer jusqu’au 17 juillet.
C’est probablement dans cet intervalle que se situe la permission dont bénéficie Joseph et, par conséquent, le passage chez le photographe.

Retour au front : le régiment participe à la campagne de Champagne en juillet avant d’être appelée dans le secteur de Noyon début août. Enfin, ça sera la reconquête « de l’Oise à la frontière » qui se conclut par l’armistice du 11 novembre.

Joseph Le Fouillé a été libéré le 26 mars 1919. Il est mort à Séglien en 1963. Profondément marqué par la guerre, il lui arrivait d’éprouver de soudaines angoisses comme s’il se retrouvait au front.

O 0 O

A propos de la tenue 
A partir de 1915, on a relégué aux oubliettes la trop facilement repérable tenue traditionnelle des grandes heures des régiments des zouaves. Finis la culotte bouffante blanche et le boléro rouge flamboyant ! On a adopté un drap vert moutarde passe-partout (kaki) ; la chéchia, auparavant coiffure de combat est désormais une coiffure portée au repos ; des images laissent à penser qu’elle est toujours rouge, d’autres disent qu’elle était bleue.
Tiré de la brochure « le 1er régiment de marche de Zouaves dans la grande guerre 1914-1919 » (disponible sur internet Gallica), voici la tenue de sortie du zouave à cette période mise ici en parallèle avec celle de Joseph Le Fouillé (évidemment en fausses couleurs).


O 0 O
Notes et compléments
Très peu de conscrits bretons ont fait leurs classes ou ont été rappelés en 1914 chez les zouaves alors qu’ils étaient nombreux dans les régiments d’infanterie coloniale et d’artillerie coloniale (attachés aux ports de Lorient et Brest).
Michel Daniel, soldat du Finistère, a écrit un livre cité sur wikipedia : « un Breton chez les zouaves ».
A la différence de Joseph Le Fouillé, il n’a pas quitté le 1er régiment de zouaves entre le 20 mars 1915 et son évacuation le 17 juillet 1918.

Merci à Anne Allanic pour cette photo très émouvante de ses grands-parents. La petite Nathalie était sa mère.

3 commentaires:

  1. comme c'est drôle grâce à ce document, je retrouve une part de mon histoire familiale : je suis Nathalie NICOL du 12 rue Raymond Voisin AU Pont Bihan.
    Pourrait-on se rencontrer ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si je comprends bien votre message, nous serions parentes ? C'est possible car mon grand-père avait de la famille à Guémené, je vous mets mon Email : guegan.allanic@wanadoo.fr ainsi que mon n° de téléphone : 02 97 25 35 80, j'habite Pontivy, je ne suis pas très loin.
      Je vois à peu près où vous habitez, Pont-Bihan est sur la vieille route de St Caradec?
      A bientôt
      cordialement
      Anne

      Supprimer
  2. Bonsoir Madame,
    Afin de pouvoir vous répondre, pouvez-écrire à guemenesscorff@gmail.com
    Merci

    RépondreSupprimer